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Une convergence inhabituelle : des médecins qui soignent une maladie chronique dont ils sont eux-mêmes atteints

Jason Baker et Douglas Villarroel sont tous deux des endocrinologues vivant avec une maladie chronique. Diabetes Voice a demandé à chacun d'entre eux comment ils pourraient mieux comprendre l'expérience émotionnelle et psychologique d'un patient.



Jason Baker with patients in Uganda
Le Dr Baker en Ouganda avec ses patients.

Jason Baker, endocrinologue à New York, et notre propre rédacteur en chef, Douglas Villarroel, endocrinologue à Santa Cruz, en Bolivie, vivent avec une maladie chronique.  Le diabète de type 1 de Jason Baker a été diagnostiqué alors qu’il était en faculté de médecine.  Douglas a subi une transplantation rénale à l’âge de 27 ans, pendant ses stages de boursier en médecine.  Depuis lors, Jason et Douglas soignent à titre professionnel les conditions avec lesquelles ils vivent et qu’ils gèrent au quotidien.  Diabetes Voice a demandé à ces deux médecins en quoi leur vécu leur permettait de mieux comprendre le ressenti émotionnel et psychologique de leurs patients vis-à-vis de leur maladie chronique.

Comment donc font-ils pour nouer des liens, prodiguer des soins, entretenir la coopération et la motivation des personnes confrontées aux mêmes défis qu’eux – tout en gardant le dessus ?  Découvrez-le dans ces interviews.

Agir pour le bon et le bien

Interview de l’endocrinologue Jason Baker

Lorsque votre diabète de type 1 a été diagnostiqué, vous étiez en faculté de médecine. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi l’endocrinologie, avec spécialisation en diabète ?

Lorsque j’ai commencé mes études de médecine, comme bon nombre d’étudiants, je n’étais pas certain de ma spécialisation future. Je savais que j’aimais la santé en général et la chirurgie. J’ai participé à un programme de recherche à Tbilissi (république de Géorgie) l’été précédant ma 3e année de médecine et suis tombé malade à la fin de l’été. Je suis aujourd’hui convaincu que le virus que j’ai attrapé a conduit au développement de mon diabète. Mon premier stage m’a amené en chirurgie traumatologique et je sais maintenant c’est là que j’ai commencé à présenter des signes de diabète. J’ai imputé ma perte de poids au stress et l’augmentation de mon besoin d’uriner à l’absorption de grandes quantités de café ! Au départ, j’ai cru que la pratique de l’endocrinologie serait accablante, que vivre et travailler dans le même univers ne fonctionnerait pas. Mais au bout d’un mois, j’étais fermement décidé à me servir de mon expérience personnelle pour orienter mon plan de carrière. Je voulais désespérément que mon diagnostic malheureux ait un impact positif sur les soins futurs de mes patients, et j’ai décidé de devenir endocrinologue.

Compte tenu de toutes vos connaissances médicales, accepter un diagnostic à vie a-t-il été difficile ?

J’étais sous le choc et mort de trouille. Le diagnostic est tombé tout au début du congé de Thanksgiving, et la plupart de mes amis étaient déjà rentrés chez eux. Je suis allé au service des urgences et un médecin de garde que je connaissais m’a remis un manuel sur l’ACD qui ne m’a pas été particulièrement utile ! J’ai finalement été hospitalisé, et je me revois couché sur le lit d’hôpital, seul et terrifié, appelant ma famille pour leur dire que tout allait bien et de ne pas s’inquiéter tout en tentant de m’en convaincre moi-même.  J’ai eu la visite d’un interne en médecine qui m’a demandé si j’avais des urines d’apparence mousseuse, et lorsque je lui ai répondu que c’était le cas, il m’a expliqué que c’était dû à un dysfonctionnement rénal et à la présence de protéines dans mon urine. L’annonce ne m’a pas été faite d’un ton gentil ou compréhensif, loin s’en faut (le temps a démontré que je ne souffre pas d’un dysfonctionnement rénal). Cette tactique alarmiste m’a effectivement fait peur et, d’une certaine manière, m’a encouragé dès le premier jour à me montrer vigilant avec mon propre contrôle afin d’éviter les complications, même si je suis convaincu que j’en serais arrivé à la même conclusion sans le stress supplémentaire engendré par cet interne. D’un autre côté, cela m’a appris qu’il était possible d’obtenir le même résultat sans faire peur aux patients, en particulier lorsqu’ils se sentent vulnérables et effrayés. J’aime à penser que c’est ce que je mets en pratique à présent : motiver et éduquer sans jouer sur la peur.

Vos collègues et votre famille ont-ils été surpris que vous décidiez de soigner des personnes atteintes de diabète ?

Honnêtement, non. Je pense que, d’une certaine façon, ils ont été soulagés et que cela les a aussi aidés à donner un sens à mon diagnostic.

Dites-vous à tous vos patients que vous souffrez également du diabète ?

Au départ, je ne le faisais pas car j’avais peur que cela ne détourne l’attention vers moi. Aujourd’hui, je le dis aux patients lors de la première visite. Je pense que cela les aide à se sentir plus détendus et à s’ouvrir par rapport à ce contre quoi ils se battent réellement.

Quelle est la chose la plus difficile lorsque l’on vit avec le diabète de type 1 et que l’on soigne des patients atteints de diabète ?

Garder une distance émotionnelle suffisante pour vous permettre de faire votre métier. Je m’implique énormément et je comprends tellement ce que les patients ressentent que cela peut me paralyser, mais je sais que pour faire mon travail, je dois garder la tête froide.

Les patients d'Ouganda et de Rwanda font preuve d'une telle ténacité, et se battent pour survivre envers et contre tout. Lorsque je vais à leur rencontre et que je pense à leur combat, cela m'encourage à prendre encore mieux soin de moi-même.

Quels sont les types de choses qui nécessitent le plus de sensibilité auprès des patients en ce qui concerne leur traitement, leurs résultats, leur alimentation, leur poids, etc. ?

L’image de son propre corps, la dépression et l’anxiété, et les troubles de l’alimentation. Ce sont tous des sujets très sensibles. J’essaie de déterminer dans quelle mesure les patients sont en phase avec leurs propres défis et je me rends compte que la plupart de mes patients atteints de diabète de type 1 se heurtent d’une manière ou d’une autre à ces problèmes.

Pensez-vous que la plupart des gens ne sont pas assez soutenus dans leur vie avec le diabète ? 

Oui, malheureusement.

En quoi ce facteur affecte-t-il votre capacité à soigner efficacement vos patients ?

Lors de mes conversations avec les patients, j’évalue qui fait partie de leur réseau de soutien, leur degré d’ouverture à l’égard du diabète et leur connaissance des ressources mises à leur disposition. Je tente ensuite de personnaliser les étapes suivantes en fonction de leurs besoins, pour les aider à renforcer leur réseau.

 

D’après vous, de quoi manquent la plupart des patients ?

Bon nombre de patients n’ont pas conscience du stress intense auquel le diabète les soumet, ni des ramifications sur leur qualité de vie et le contrôle du diabète. Les thérapeutes et les psychologues/psychiatres qui prennent réellement en charge les problèmes liés au diabète de type 1 sont trop peu nombreux et lorsque de tels spécialistes existent, les rendez-vous sont généralement rares ou les assurances ne couvrent pas le coût des visites.

S’il y a une chose que vous aimeriez que tous vos patients fassent, quelle serait-elle ?

Sortir de leur zone de confort du diabète. Cela peut impliquer d’essayer un nouveau traitement ou de parler davantage du diabète aux autres (autrement dit, ne pas dépenser d’énergie pour cacher le diabète, mais la focaliser sur la lutte contre la maladie).

Si vous pouviez ajouter une chose aux directives actuelles de l’ADA concernant le diabète, quelle serait-elle ?

Mettre davantage l’accent sur l’importance de l’autosurveillance. Plus les gens connaîtront leurs chiffres, plus ils seront en mesure de prendre des décisions meilleures et mieux informées en matière de traitement et de mode de vie. J’étofferais également les sections consacrées à la dépression et à l’anxiété, ainsi qu’aux troubles alimentaires, car ce sont des problèmes majeurs pour les personnes atteintes de diabète de type 1.

Vous êtes le fondateur du Marjorie’s Fund.  Quelle est, d’après vous, la principale différence entre les gens que vous recevez dans votre cabinet et ceux qui vivent en Ouganda ?

Les patients atteints de diabète que je vois en Ouganda et au Rwanda ont soif de connaissances du diabète et sont prêts à utiliser les traitements du diabète et les fournitures de test disponibles, mais l’accès à l’éducation et aux médicaments/fournitures fait cruellement défaut dans ces pays. Les patients d’Ouganda et de Rwanda font preuve d’une telle ténacité, et se battent pour survivre envers et contre tout. Lorsque je vais à leur rencontre et que je pense à leur combat, cela m’encourage à prendre encore mieux soin de moi-même. Lorsque je n’ai pas envie de mener la bataille du diabète certains jours, je me rappelle que j’ai le devoir d’utiliser la pléthore de ressources à laquelle j’ai accès alors qu’eux n’y ont pas droit. Ne pas le faire serait une insulte à leur égard. De même, je pense que le fait de partager ces expériences, et leurs récits, avec d’autres personnes atteintes de diabète de type 1 qui ont accès à des ressources mais qui se sentent épuisées les aide à reprendre le dessus de leur diabète. Je pense que cela les aide à nouer des liens avec la communauté plus large du diabète et à se sentir moins seules.  Après tout, nous faisons tous partie de la même communauté du diabète, et les membres d’une famille doivent veiller les uns sur les autres !

Jason Baker est professeur assistant de médecine et endocrinologue au Cornell Medical College de New York.  Le Dr Baker participe à divers projets de santé mondiaux dédiés au diabète et a fondé l’organisation à but non lucratif Marjorie’s Fund, une initiative mondiale en faveur du diabète de type 1 dédiée à l’éducation, aux soins et à la recherche dans le domaine du diabète de type 1 dans les pays en développement.

Vivre avec une maladie qui altère la qualité de vie et la soigner

Interview de l’endocrinologue Douglas Villarroel

Où en étiez-vous dans votre vie et quel âge aviez-vous lorsque vous avez eu votre transplantation rénale ? 

Je terminais mes années de boursier en endocrinologie. J’avais passé toutes les années de ma formation universitaire à faire face aux conséquences de la détérioration progressive de ma fonction rénale. J’avais 27 ans le jour de la transplantation rénale.

Qu’est-ce qui vous a motivé à faire la médecine et à vous orienter plus spécifiquement vers le diabète ?

Ma maladie rénale a clairement pesé dans ma décision d’étudier la médecine. Mon syndrome néphrotique a été diagnostiqué très tôt, à l’âge de 14 ans. J’ai dû fréquemment me rendre chez des médecins, effectuer des tests en laboratoire, des échographies, des biopsies, etc. Tout cela m’a fait découvrir un univers qui m’a passionné ma vie durant : la médecine.

Expliquez-vous souvent aux patients que vous souffrez d’une condition chronique ?

Très souvent, je leur dis que j’ai une maladie rénale et que je vis grâce à une transplantation. Cela me permet de nouer des liens plus étroits avec les patients car, subitement, je deviens quelqu’un qui connaît les souffrances qu’ils endurent dans leur propre chair. Me voir dans un tel état de forme 25 ans après avoir été transplanté leur donne beaucoup d’espoir !

Lorsque vous annoncez un diagnostic de diabète ou de complication grave dans votre cabinet, comment faites-vous et dans quelle mesure le fait de vivre avec une condition chronique grave facilite-t-il ou complique-t-il l’annonce ?

Je n’arrive pas toujours à déterminer si je regarde les patients avec bienveillance et compréhension, en écoutant, en expliquant et en prenant du temps, parce que j’ai moi-même souffert d’une condition chronique ou simplement parce que c’est ma façon d’être. Au début de ma carrière professionnelle, j’ai décidé que je m’impliquerais vis-à-vis des patients. Je m’occupe de leur bien-être physique et émotionnel. J’ai toujours parlé avec affection et bienveillance, en veillant à utiliser un langage clair. Poser un diagnostic de diabète pour la première fois ou parler de complications graves a de terribles répercussions sur les gens, tout comme j’ai été affecté lors des différentes phases de ma maladie. Ma condition rénale m’a été d’un grand avantage pour comprendre comment soigner les gens.

Combien de patients souffrant d’une maladie rénale soignez-vous ?

Environ 1 200 patients par an.

Combien de transplantations rénales avez-vous supervisées en tant que spécialiste en soins primaires ou en endocrinologie ?

Une certaine de patients transplantés.

Mon plus grand espoir est que nous trouvions un remède pour le diabète. En attendant, il y a beaucoup à faire pour permettre à des millions de personnes d'avoir un meilleur accès aux soins de santé et à un traitement de première ligne gratuit.

Quelle est votre définition d’une bonne journée pour un patient souffrant de diabète et d’une maladie rénale ?

L’incertitude est le sentiment qui affecte le plus une personne atteinte de diabète qui présente des complications. On peut qualifier de bonnes journées les jours où elle se sent aux commandes de ce qui lui arrive. C’est pour cela que les personnes atteintes de diabète ont besoin d’un soutien émotionnel et d’informations sur leur maladie, ainsi que de comprendre ce qui se passe dans leur corps.

Pensez-vous que le fait de vivre avec une maladie qui affecte le cours de votre vie a fait de vous un meilleur médecin ?

Ma maladie a clairement rechargé mes batteries, en particulier après la transplantation. Je vis intensément. Je profite de chaque seconde et je me donne à 100 % pour mes patients. Même si la peur de perdre l’organe transplanté ne disparaît jamais, ma fougue et ma joie de vivre l’emportent. J’ai appris à écouter mes patients avec un esprit ouvert, afin de mieux comprendre leur réalité et ce qu’il pourrait leur arriver. Je suis devenu plus humble et mon regard sur la vie a changé.

Quel est votre plus grand espoir pour toutes les personnes atteintes de diabète aujourd’hui ?

Au vu de toutes les recherches sur le diabète et des progrès au niveau des traitements, on est tenté de penser que quelqu’un a sûrement trouvé un remède au diabète. Mais le fait est qu’il n’existe pas de remède pour le diabète, que ce soit pour le type 1 ou le type 2. Mon plus grand espoir est que nous trouvions un remède pour le diabète. En attendant, il y a beaucoup à faire pour permettre à des millions de personnes d’avoir un meilleur accès aux soins de santé et à un traitement de première ligne gratuit.

Quelle est la plus grande récompense lorsque l’on s’occupe de personnes atteintes de diabète ? 

La plus grande récompense est d’arriver à faire une différence dans leur vie, tant sur le plan de leur qualité de vie que de leur état de santé général. D’empêcher ou de retarder les complications. Je suis comblé de bonheur lorsque quelqu’un se présente avec une A1c inférieure à 7 ou m’annonce qu’il a enfin commencé à pratiquer une activité physique.

Douglas Villarroel with Don Pepe

 

Elizabeth Snouffer est rédactrice de Diabetes Voice

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